Parfois, je me fais cette réflexion. Quand on voit un criminel à la télé, on s’exclame : « Quel salaud ! ». Et on parle fort de pourquoi c’est mal et comment il faut punir ce genre d’acte, avec de la colère, du bruit, presque du spectacle.

Mais le moment où l’on comprend vraiment la « psychologie du criminel », c’est quand on se retrouve à sa place. Par exemple, tout le monde sait que conduire ivre est dangereux et interdit. Même celui qui provoque l’accident le sait intellectuellement. C’est comme la personne violente : elle sait très bien que « frapper quelqu’un est mal », au moins dans sa tête. 

Mais savoir et ressentir, ce n’est pas le même territoire. 

La zone intérieure que seul l’acteur connaît

La tentation que ressent un conducteur ivre, seuls ceux qui l’ont déjà éprouvée peuvent la comprendre. « Cette distance, ça va passer. » « Je suis encore lucide, aucun problème. » C’est ce minuscule instant de bascule qui fait naître le crime. On peut l’imaginer, oui, mais la plupart des gens refusent d’investir leur énergie pour ressentir le cœur de celui qui a franchi la ligne. Dans les faits, le cœur de celui qui commet l’acte reste presque toujours un secret que seul l’acteur connaît. 

Souvent, on ne se rend compte de ce mécanisme qu’en devenant soi-même le fautif ou juste avant de l’être. Et là, on se dit : « Ah… c’est ainsi qu’on bascule dans la catégorie des criminels… » Une fois le geste posé, même en un éclair, le monde nous colle l’étiquette de « mauvais ». La frontière entre citoyen ordinaire et criminel est plus fine qu’on ne le croit. 

Mais comprendre ce cœur ne veut pas dire que l’acte devient légitime. 

C’est pour ça que le monde reste toujours structuré ainsi : l’observateur regarde, juge et sanctionne l’acteur.

Comprendre un cœur brouille le jugement moral

On retrouve ici l’expression française « Deux poids, deux mesures ». Quand c’est moi qui agis, je comprends tout le chemin intérieur qui mène à l’action, avec ses émotions. Mais quand c’est l’autre, je reste simple spectateur : je ne ressens rien de ce cœur. Et souvent, on confond cette compréhension avec une forme de légitimité. Si je comprends, ça paraît presque juste. Si je ne comprends pas, ça me semble injustifiable.

À partir de là, j’ai voulu réfléchir à ce qu’on appelle une escroquerie.

Pour l’escroc, tromper n’est qu’une stratégie de survie

En réalité, quand quelqu’un escroque, il ne se dit pas forcément : « Je suis en train de faire quelque chose de mal. » Il se dit plutôt : « Je comprends mieux que les autres les rouages cachés du monde, et je sais les utiliser habilement. » J’ai eu cette révélation en créant ce blog.

Au début, j’avais un rêve très pur : « Créer un blog qui offre des informations utiles aux minorités isolées. » « Offrir une interface si chaleureuse et intuitive que, dès que l’angoisse monte, on viendra se poser ici, apaisé. » C’était mon idéal. 

Mais le monde ne fonctionne pas comme dans ce rêve. Personne ne se dit : « Tiens, je me sens seul, je vais chercher un blog. » Personne n’attend de beaux textes. Mon blog, ce n’était pas une scène élégante : c’était un petit stand perdu au bord de la route, qui devait accrocher le regard pour survivre.

Plus j’ouvrais les yeux sur les comportements des gens et sur l’« algorithme du monde » qu’ils forment ensemble, plus mon attitude glissait vers celle des blogueurs classiques. Avec des pensées du genre : « Je n’ai pas le choix. » « Pour utiliser le monde, il faut jouer ce jeu. » Et si on me demandait : « Pourquoi mettre des pubs ? Pourquoi parler de sujets si communs ? » Je répondrais : « Parce que c’est la seule façon de survivre. » 

Je n’ai pas trompé qui que ce soit, donc je ne suis pas un escroc, mais j’ai compris que dès qu’on considère ses propres actes comme une stratégie raffinée née de la compréhension du monde, la tentation de la tromperie n’est jamais loin. 

Enfermer les actions d’autrui dans ma propre stratégie

Depuis cette prise de conscience, les gestes des escrocs, et le cœur derrière, sont devenus « compréhensibles » pour moi. 

Le langage, en fin de compte, est un outil pour provoquer une réaction. Si je dis :

« Il fait beau aujourd’hui, n’est-ce pas ? »

L’univers de l’autre se retrouve immédiatement enfermé dans « la réponse à propos du temps ». Il est poussé à répondre, par exemple : « Oui, l’air s’est rafraîchi. » En un sens, j’ai guidé son action

Lire le comportement d’un consommateur et créer les conditions qui l’amènent à agir, c’est du marketing. Et si la base est mensongère, c’est de l’escroquerie. Le mécanisme fondamental est le même. 

Certains ne savent pas distinguer mes mensonges de la vérité. C’est là que naît la graine de l’escroquerie.